Philosophie du projet

Le théâtre de Galafronie tire donc sa révérence mais nous ne soufflerons pas les bougies de nos quarante ans. Au contraire, comme dans toute métamorphose, comme tout cycle dans la nature, nous allons muter, nous transformer, libérer les papillons, brûler, semer, souffler sur les pissenlits pour que le plus de germes possibles s’associent et fleurissent en toute liberté.
Lorsque la préparation de Royale Révérence a débuté, quelques questionnements revenaient régulièrement lors de nos discussions. Comment clôturer sans mourir ? Comment permettre à chacun de repartir avec ses bagages remplis de nouvelles pensées, d’images poétiques, … ? Comment fédérer toutes nos envies dans un grand tout ? La notion de collectif, chère à l’époque soixante-huitarde, a-t-elle perdu ses lettres de noblesse, sa raison d’exister, sa capacité à exister ?
La thématique du collectif s’est imposée comme une évidence. Fil rouge de notre pratique pendant quarante ans, nous voulons encore le travailler, le partager, le bousculer, l’interroger le temps d’un weekend, le temps de notre Royale Révérence.
Comment faire ensemble tout en gardant sa singularité ?
Le minimum c’est être d’accord de ne pas être d’accord. [1]
Comment ça fonctionne ? Pourquoi ça (ne) fonctionne (pas) ? L’envie de collectivité est-elle inhérente à la bête humaine ? Désapprend-t-on en grandissant ? L’acquiert-on grâce au hasard des rencontres ? Que peut apporter le collectif aujourd’hui à ce monde – artistique ou autre ? Une création n’est-elle pas d’office collective ? Est-on forcément solidaire au sein du collectif ?
Beaucoup de (nouvelles) structures dans des milieux alternatifs se revendiquent collectives. Mais quelle différence entre collectif, collaboratif, associatif et coopératif ?
Nous voulons aller voir ailleurs, pour mieux comprendre.
Ouvrir la réflexion avec des intervenants venant des domaines philosophique, sociologique, biologique, artistique et mêler leurs expériences, leurs points de vue.

Royale Révérence sera à l’image de notre philosophie du collectif, une sorte de happening, où utopie, expertise, créativité et réalité de terrain pourront jouer au ping-pong, dans un carnaval de cultures et de rencontres le plus mixtes possible.
Nous aimerions faire de ces trente-six heures, une méga fête de décollage vers un futur revigorant, une pollinisation croisée excitante [2], de points de vue sur le bien commun, la responsabilité partagée, la solidarité, le maillage indispensable des talents et des complémentarités.

Accepter de se regarder soi pour regarder le Monde, se poser là au beau milieu de l’espace et du temps, oser chercher dans son esprit, dans son corps, les traces de tous les autres hommes, admettre de les voir, accepter de connaître, au risque de détruire ses propres certitudes, chercher et refuser pourtant de trouver et aller démuni dans le risque de l’incompréhension, marcher sans inquiétude et dire ce refus de l’inquiétude, comme premier engagement. [3]

Sa tête posée contre celle des autres, faisant un avec la canopée qui semble lui murmurer un air à l’oreille, le voilà, sous ce toit de feuilles et de branches, protégé des vents et du froid, de la pluie et de la sécheresse. Ses racines s’entremêlent aux autres dans un échange de nourritures essentielles. L’arbre s’organise dans son projet de vie. Seul, il ferait long feu.[4]

La canopée, qu’ensemble nous formons, assure le développement de chacun.
Elle permet une progression de l’intelligence collective grâce au croisement de plusieurs esprits créatifs, de plusieurs disciplines et une émulsion commune des idées et des approches. Elle donne de multiples possibilités de mise en réseau et de points de vue.

Les objectifs de Royale Révérence sont multiples.

Fédérer toutes sortes de bandes pour rassembler les arbres en une forêt.

Investir un lieu non théâtral et le transformer pour accueillir les invités spectateurs dans un environnement nourri, accessible à tous et chaleureux.

Pratiquer le collectif autant dans l’artistique que dans le service et l’organisation.

Se frotter au maillage des arts et des pensées.

Célébrer l’art éphémère dans un hors temps, hors cadre institutionnel.

Fournir un champ d’expérimentations à tous les talents et pensées que nous avons côtoyés.

Entrecroiser les propositions et créer une œuvre commune.

Rassembler les énergies par l’échange des initiatives et réseaux qui améliorent le monde à nos yeux.

Découvrir ensemble de nouveaux espaces communautaires.

Royale Révérence invitera chaque participant-spectateur à partir en « tournée » dans un hors cadre géographique et culturel. La tournée, c’est aller vers … C’est déménager ses meubles et aller camper ailleurs et, pour un temps, changer ses habitudes.

Pour cela, nous imaginons un événement festif tout un weekend
un mini festival,
un sabbat créatif,
un carnaval,
un camping sitting dancing singing acting eating talking.
Une rencontre artistique avec ceux du passé, du présent et certains que nous pressentons comme ceux du futur.

Comme un dernier feu d’artifice.

Quelque chose que nous n’avons pas encore fait,

mais dans l’esprit de nos Cabarets, Bouillons, The Muziciens.

Mélange de disciplines, de générations, de professionnels et d’amateurs éclairés.

Parcours de quarante ans avec nos partenaires comme la grande parade d’une fanfare.

Envoyer une dernière salve, une giclée de germes de pissenlit pour l’avenir.

Une magie éphémère pour réaliser nos rêves les plus fous d’Une fois

et transmettre dans l’action même, nos éternels idéaux de collectif, de partage, de méthodes de création, de marmite bouillonnante.

Une fête de l’espoir et de l’avenir pour ceux qui nous suivent et l’occasion de dire que personnellement nous serons encore là pour souffler sur les projets.

[1] Aphorisme du théâtre de Galafronie
[2] Extrait du manifeste de Biestebrok
[3] Du luxe et de l’impuissance de Jean-Luc Lagarce
[4] Inspiré du livre La vie secrète des arbres de Peter Wohlleben